La portée de l’arrêt rendu par la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation est particulièrement riche puisqu’elle traite de plusieurs aspects du dommage corporel.
Nous aborderons ici la portée de l’arrêt relative à l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) et l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé (AEEH).
• L’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé relève-elle du recours des tiers payeurs ?
L’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé est une prestation servie par les Caisses d’Allocations Familiales (CAF), qui est destinée à compenser les frais d’éducation et de soins apportés à un enfant en situation de handicap. Cette aide est versée à la personne qui en assume la charge et peut être complétée, sous certaines conditions, d’un complément d’allocation.
La Cour de Cassation s’était déjà prononcée sur la question de savoir si cette prestation versée par les Caisses d’Allocations Familiales, et plus généralement toutes les prestations versées par les CAF, pouvaient donner lieu à un recours subrogatoire contre le responsable du dommage, en application des articles 29 et 30 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1989.
La réponse est négative :
« Les Caisses d’Allocations Familiales ne peuvent être considérées, au sens de l’article 29-1 de la loi du 5 juillet 1985, comme des organismes, établissements ou services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ». (Cass. Crim., 30 octobre 2000, pourvoi n° 99-87306).
Par conséquent, l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé n’ouvre pas droit à une action récursoire de l’assureur suivant les dispositions de l’article L.131-2 du Code des Assurances, et ne doit donc pas être déduite de l’indemnisation de la victime.
• L’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé est-elle une prestation indemnitaire ?
Bien que n’ouvrant pas droit à recours puisqu’elles ne font pas partie des prestations visées par la loi du 5 juillet 1985, certaines prestations peuvent être déduites de l’indemnisation de la victime si elles présentent un caractère indemnitaire, en d’autres termes si elles sont calculées par référence au préjudice effectivement subi par la victime.
Le FIVA, le FGTI ou encore l’ONIAM peuvent alors déduire ces prestations de l’indemnisation finale de la victime.
Quid de la nature de l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé ?
Dans son arrêt du 7 mars 2019, la 2ème Chambre Civile de la Haute Juridiction a considéré que l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé ne présentait pas de caractère indemnitaire et ne devait donc pas être déduite de l’indemnisation de la victime.
Dans cet arrêt, la victime avait engagé une action indemnitaire devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions Pénales (CIVI) afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices à la suite de violences exercées lorsqu’elle était un nourrisson.
Le 11 juillet 2017, la Cour d’Appel de Dijon avait rendu un arrêt au terme duquel elle estimait que l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé (AEEH) revêtait un caractère indemnitaire et devait donc être déduite de l’indemnisation des besoins d’assistance en tierce personne de la victime.
La 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’Appel et pose le principe de non-imputation de l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé.
La Cour de Cassation rappelle dans sa décision les principes qui régissent le versement de cette prestation : l’AEEH est due à la personne qui assume la charge d’un enfant handicapé dont l’incapacité permanente est au moins égale à un taux déterminé. Elle est destinée à compenser les frais d’éducation et de soins apportés par cette personne à l’enfant jusqu’à l’âge de 20 ans. Cette prestation est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l’enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales.
La 2ème Chambre Civile rappelle qu’il s’agit d’une prestation familiale qui ne répare pas le préjudice de l’enfant.
Si on peut se réjouir de cette décision, il convient néanmoins d’en relativiser la portée.
En effet, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation adopte, jusqu’à aujourd’hui, une position inverse.
Par un arrêt en date 18 juin 2014, la 1ère Chambre Civile de la Haute Juridiction a jugé que l’AEEH présentait un caractère indemnitaire, permettant ainsi à l’ONIAM de déduire cette prestation du montant alloué au titre des besoins en aide humaine de la victime. (Cass. Civ 1ère, 18 juin 2014, n°12-35252).
Cet arrêt de la 1ère Chambre civile n’a toutefois pas été publié…
Il convient donc d’être prudent et d’attendre la prochaine décision de la 1ère Chambre Civile pour connaître sa (nouvelle ?) position concernant le caractère indemnitaire ou forfaitaire de l’AEEH.
Si la Cour Régulatrice n’a pas encore adopté une position unanime et constante sur la question de la nature de l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé, il n’en va pas de même de son homologue administrativiste.
En effet, le Conseil d’Etat a affirmé que l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé présentait un caractère indemnitaire et devait donc être déduite de l’indemnisation de la victime (CE, 5ème et 6ème Chambres Réunies, 26 juillet 2018 n°408806)
Ces divergences de point de vue entre la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat sont regrettables et conduisent, une fois n’est pas coutume, à créer une discrimination entre les victimes qui sont indemnisées de leurs préjudices devant une juridiction administrative, de celles qui sont indemnisées de leurs préjudices devant une juridiction judiciaire.
Dans un souci de clarté et d’égalité, une position commune serait évidemment souhaitable.
L’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) est une allocation de solidarité destinée à assurer aux personnes handicapées un minimum de ressources. Financée par l’État, elle est versée par les Caisses d’Allocations Familiales et les Caisses de Mutualité Sociale Agricole.
Dans l’arrêt du 7 mars 2019, la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation rappelle une solution constante : l’Allocation aux Adultes Handicapés est dépourvue de caractère indemnitaire et ne doit donc pas être prise en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels de la victime.
En d’autres termes, l’AAH ne doit pas être déduite de l’indemnisation de la victime.
Cette décision n’est pas nouvelle et constitue une confirmation de la jurisprudence, tant cette fois de la Cour de Cassation que du Conseil d’Etat (Cass. Civ 2, 8 septembre 2016, n°14-24524 ; CE, 1ère et 4ème sous-section, 4 mars 1988, n°55612).
Maître Aurore ROUSSEL, Avocat à NANTES en Dommage Corporel et Droit Médical.
© Aurore Roussel, Avocat accident de la route & accident médical
Indemnisation du dommage corporel